51 ON DESCENDRAIT,

On descendrait, si vous l' osiez,
d' en haut de la terrasse,
jusques au seuil, où s' embarrasse
le pas dans les rosiers.

D' un martin pêcheur qui s' élance
l' éclair n' a que passé ;
et la source, à son pleur glacé,
alterne un noir silence.

L' angelus, dans le couchant roux,
comme un parfum s' efface.
Lilith, en détournant sa face,
a tiré les verroux.

52 C'ETAIT,

C' était, dans les vapeurs du nard,
un cri, des jeux infâmes,
et ces yeux fatals qu' ont les femmes
du cruel Fragonard.

Parfois, pour ranimer l' orgie,
brillait un sang nouveau.
Bacchus, rose comme le veau,
cuvait sa nostalgie.

Cet air des brigands l' attristait.
Il voulait qu' on s' en aille.
Une voix se tut. La canaille
dansait, et sanglotait.

53 ENFIN,

—" Enfin, puisque c' est Sa demeure,
le bon Dieu, où est-Y ? "
—"Chut, me dit-elle: Il est sorti,
on ne sait à quelle heure. "

"Et de nous tous le plus calé,
je dis : Satan lui-même,
ne sait en ce désordre extrême
où diable Il est allé."

54 TOUT AINSI QUE CES POMMES

Tout ainsi que ces pommes
de pourpre et d' or
qui mûrissent aux bords
où fut Sodome ;

comme ces fruits encore
que Tantalus,
dans les sombres palus,
crache, et dévore ;

mon coeur, si doux à prendre
entre tes mains,
ouvre-le, ce n' est rien
qu' un peu de cendre.

55 A LONDRES JE CONNUS BELLA,

À Londres je connus Bella,
princesse moins lointaine
que son mari le capitaine
qui n' était jamais là.

Et peut-être aimait-il la mangue ;
mais Bella, les français
tels qu' on le parle : c' est assez
pour qui ne prend que langue ;

et la tienne vaut un talbin.
Mais quoi ? Rester rebelle,
Bella, quand te montre si belle
le désordre du bain ?

56 AU DETOUR DE LA RUE ETROITE

p71 Au détour de la rue étroite
s' ouvre l' ombre et la cour
ou Diane en plâtre, et qui court
n' a que la jambe droite.

Là-bas sur sa flûte de Pan,
un Ossalois nous lance
ces airs aigus comme une lance
qui percent le tympan,

ô Faustine, et je vois se tendre
l' arc pur de ton sourcil ;
telle une autre Diane, si
le trait n' était si tendre.

note: Ossalois, inhabitant of Ossau valley

57 DANS LA RUE-DES-DEUX-DECADIS

Dans la rue-des-deux-décadis
brillait en devanture
un citron plus beau que nature
ou même au paradis ;

et tel qu' en mûrissait la terre
où mes premiers printemps
ombrageaient leurs jours inconstants
sous ton arbre, ô Cythère.

Dans la rue-des-deux-décadis
passa dans sa voiture
une dame aux yeux d' aventure
le long des murs verdis.

58 C'ETAIT SUR UN CHEMIN CRAYEUX

C' était sur un chemin crayeux
trois châtes de Provence
qui s' en allaient d' un pas qui danse
le soleil dans les yeux.

Une enseigne, au bord de la route,
—azur et jaune d' oeuf,—
annonçait : Vin de Chateauneuf,
Tonnelles, Casse-croute.

Et, tandis que les suit trois fois
leur ombre violette,
noir pastou, sous la gloriette,
toi, tu t' en fous : tu bois...

C' était trois châtes de Provence,
des oliviers poudreux,
et le mistral brûlant aux yeux
dans un azur immense.

note: châtes, young girls (Provence dialect)

59 DESSOUS LA COURTINE MOUILLEE

Dessous la courtine mouillée
du matin soucieux,
tu balances, harmonieux,
ta branche dépouillée,

beau peuplier qui de l' été
fais voir encor la grâce :
pourquoi l' âge a-t-il sur ma face
aboli ma fierté ?

60 POUR UNE DAME IMAGINAIRE

Pour une dame imaginaire
aux yeux couleur du temps,
j' ai rimé longtemps, bien longtemps :
j' en étais poitrinaire.

Quand vint un jour où, tout à coup,
nous rimâmes ensemble.
Rien que d' y penser, il me semble
que j' ai la corde au cou.