1 AVRIL, DONT L'ODEUR

Avril, dont l' odeur nous augure
le renaissant plaisir,
tu découvres de mon désir
la secrète figure.

Ah, verse le myrte à Myrtil,
l' iris à Desdémone :
pour moi d' une rose anémone
s' ouvre le noir pistil.

2 TOI QU'EMPOURPRAIT L'ATRE

Toi qu' empourprait l' âtre d' hiver
comme une rouge nue
où déjà te dessinait nue
l' arome de ta chair ;

ni vous, dont l' image ancienne
captive encor mon coeur,
île voilée, ombres en fleurs,
nuit océanienne ;

non plus ton parfum, violier
sous la main qui t' arrose,
ne valent la brûlante rose
que midi fait plier.

3 IRIS, A SON BRILLANT MOUCHOIR,

Iris, à son brillant mouchoir,
de sept feux illumine
la molle averse qui chemine,
harmonieuse à choir.

Ah, sur les roses de l' été,
sois la mouvante robe,
molle averse, qui me dérobe
leur aride beauté.

Et vous, dont le rire joyeux
m' a caché tant d' alarmes,
puissé-je voir enfin des larmes
monter jusqu' à vos yeux.

4 CES ROSES POUR MOI DESTINEES

Ces roses pour moi destinées
par le choix de sa main,
aux premiers feux du lendemain,
elles étaient fanées.

Avec les heures, un à un,
dans la vasque de cuivre,
leur calice tinte et délivre
une âme à leur parfum

liée, entre tant, ô Ménesse,
qu' à travers vos ébats,
j' écoute résonner tout bas
le glas de ma jeunesse.

note: ménesse is slang for woman

5 DANS LE LIT VASTE ET DEVASTE

Dans le lit vaste et dévasté
j' ouvre les yeux près d' elle ;
je l' effleure : un songe infidèle
l' embrasse à mon côté.

Une lueur tranchante et mince
échancre mon plafond.
Très loin, sur le pavé profond,
j' entends un seau qui grince...

6 IL PLEUVAIT.

Il pleuvait. Les tristes étoiles
semblaient pleurer d' ennui.
Comme une épée, à la minuit,
tu sautas hors des toiles.

—Minuit ! Trouverai-je une auto,
par ce temps ? Et le pire,
c' est mon mari. Que va-t-il dire,
lui qui rentre si tôt ?

—Et s' il vous voyait sans chemise,
vous, toute sa moitié ?
—Ne jouez donc pas la pitié.
—Pourquoi ? ... Doublons la mise.

7 LE MICROBE : BOTULINUS

Le microbe : Botulinus
fut, dans ses exercices,
découvert au sein des saucisses
par un Alboche en us.

Je voudrais, non moins découverte
Floryse, que ce fût
vous que je trouve, au bois touffu
dormante à l' ombre verte ;

si même l' archer de Vénus
des traits en vous dérobe
plus dangereux que le microbe
nommé : Botulinus.

note: Alboche, slang for German

8 DANS LE SILENCIEUX AUTOMNE

Dans le silencieux automne
d' un jour mol et soyeux,
je t' écoute en fermant les yeux,
voisine monotone.

Ces gammes de tes doigts hardis,
c' était déjà des gammes
quand n' étaient pas encor des dames
mes cousines, jadis ;

et qu' aux toits noirs de la Rafette,
où grince un fer changeant,
les abeilles d' or et d' argent
mettaient l' aurore en fête.

note: La Rafette was Toulet's sister's château
where he often spent vactions and where he lived 1912-1916.

9 O MER, TOI QUE JE SENS FREMIR

Nocturne.

Ô mer, toi que je sens frémir
à travers la nuit creuse,
comme le sein d' une amoureuse
qui ne peut pas dormir ;

le vent lourd frappe la falaise...
quoi ! Si le chant moqueur
d' une sirène est dans mon coeur—
ô coeur, divin malaise.

Quoi, plus de larmes, ni d' avoir
personne qui vous plaigne...
tout bas, comme d' un flanc qui saigne,
il s' est mis à pleuvoir.

10 CE TAPIS QUE NOUS TISSONS

Fô a dit...

"Ce tapis que nous tissons comme
" le ver dans son linceul
" dont on ne voit que l' envers seul :
" c' est le destin de l' homme.

" mais peut-être qu' à d' autres yeux,
" l' autre côté déploie
" le rêve, et les fleurs, et la joie
" d' un dessin merveilleux. "

Tel Fô, que l' or noir des tisanes
enivre, ou bien ses vers,
chante, et s' en va tout de travers
entre deux courtisanes.

note: In Toulet's writing, Fô was a Chinese poet associated
with the philosopher Lao-Tse.